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MADRILÈNES

PAR CHRISTIAN CAUJOLLE

A en juger par le nombre de travaux qu’elle a générés depuis les débuts de la photographie et, tout particulièrement, depuis près d’un demi-siècle, la ville est photogénique. Paris et New York en tête, ce sont donc deux grandes approches qui dominent, s’affrontent même, avec d’une part une prédilection pour l’anecdote, le typique, qui va installer ou regarder les gens dans l’espace urbain et une approche plus froide, plus analytique, plus descriptive de la topographie.
Il faudrait naturellement nuancer ces grandes tendances mais elles marquent fortement un mode de représentation qui relève toujours des tentations pour une impossible « objectivité » et qui, au cours du dernier quart de siècle a vu croitre fortement une imagerie, répétée dans le monde entier et souvent générée par des suiveurs de l’école de Düsseldorf ; elle nous donne le sentiment de l’inventaire, affirme la prédominance du point de vue frontal et du style documentaire.
L’originalité de l’approche d’Anna Katharina Scheidegger, dont la rigueur de cadrage pourrait parfois nous faire croire qu’elle appartient à cette tendance lourde ou s’en rapproche, est que, au delà de l’affirmation du choix documentaire, elle laisse place, avec discrétion et sensibilité, à des points de vue parfaitement subjectifs qui renvoient aussi à sa culture d’images, au cinéma entre autres. Ne connaissant pas Madrid, elle a entrepris de photographier la ville au gré de ses surprises visuelles nées de l’architecture et qu’elle réfère à la fois à des films qui l’ont marquée et à des situations sociales qu’elle expérimente. Face à un immeuble, un carrefour, un paysage de la périphérie, une place, elle réagit d’abord avec l’émotion qui la gagne lorsqu’elle les voit puis, à sa manière, partant d’un détail, elle invente ou s’invente une histoire. Histoires liées au réel, nées de lui et de l’expérience, mais fictions tout de même qui laissent au spectateur une liberté pour s’approprier ce qu’il voit et qui n’est plus qu’image. Jouant avec les échelles, les angles, elle se demande si la ville, l’architecture sont constitutives de mémoire, et de quelle mémoire. Elle traque – mais ne les souligne jamais car il ne s’agit pas de décrire mais de s’inscrire dans  l’espace – des signes du passage de l’homme, fussent-ils dérisoires, et les verse à l’imaginaire que le voyeur recompose.
Ce faisant, et tout en assumant le fait de produire des documents, elle nous rappelle salutairement que l’une des fonctions du photographe – et de la photographie – est de nous permettre de voir ce que nous ne voyons pas ou ce que nous ne voyons plus. Ralentir le regard en l’éloignant de la reproduction ou du survol facile, attirer l’attention sur la banalité significative de l’infime, changer l’angle d’approche, révéler sans nous transformer en obligés, montrer sans chercher à démontrer, la photographie peut toujours le faire. La preuve, à Madrid comme dans tout le travail d’Anna K.

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