THE GLACIERS LOVE SONG | 2019
Credits | music and lyrics | Emmannuel Tugny
PERFORMANE | LA LUNE EN PARACHUTE EPINAL | OCT 2019
« Le Gethsémani ! Depuis tant d’années j’avais rêvé que j’y viendrais passer une nuit de solitude, de recueillement suprême, presque de prière… Et je n’ose plus, et je remets de soir en soir, redoutant trop de ne rencontrer là, comme ailleurs, que le vide et la mort… »
Loti, Jérusalem, 17
« Se peut-il enfin, dit Névée, que nous ne nous aimions plus, l’Oréade ?
Je ne reconnais plus en moi ce souffle altéré de l'amour formidable sous notre ciel qui emporte.
Je ne reconnais plus dans l'âme et dans l'aubier ce grand vieux souffle qui, depuis le ciel, m'enlève en toi.
Se peut-il que nous soyons au ciel l'un et l'autre, l'un puis l'autre enlevés ?
La cendre de ta peau laissée est bien toujours ce dont le ciel fait mon miel, mon beau miel illuné d’hivers.
Je descends dans l’aval, l’ubac est mon foyer pendant, nous avons nos enlacements : rien n’a changé du cours de notre alliance ; et cependant ton nom est tout : nous nous sommes laissés avec l’ordre des ombres dans quoi tremble l’hiver.
Je ne suis plus le même : sans toi, je suis le même.
Un appel de la vie te porte vers le nom, Echo, tu te retranches.
Un signe t’a ravie à l’alliance ancienne.
Je ne suis plus le même, tu es l’arrachement : ma substance est un cours bien mort de ton absence : il la révère, il la garde pour l’aube, il espère dans la nuit.
Ton amour justifiait le cours. Ton amour formait regard dans le regard de toute chose. Et sous le ciel nous étions tous les regards ensemble.
Et l’orbe de mes glaces embrassait deux regards et nous étions le même, enfin, le même en un regard.
Tu es le nom de l’homme et son apocalypse : un signe t’a ravie par quoi se ferme un œil pour que je sois l’élu, le sel, le cep, la terre, la coulée sombre et le chemin livide où dévale l’ubac la pente où je t’aimais.
Je t’aimais le peuple immanent à ma nuit, je t’aimais le corps immanent à mon jour.
Je t’aimais ma portée, mon souffle, mon élan.
Je t’aimais devenir.
Je t’aimais nation d’un chemin empêché. Je t’aimais l’empêchement de mon chemin de nature, je t’aimais ma conduite et mon axe tremblant.
Je t’aimais la clarté.
Je t’aimais le chant de mon amble en quoi cède la pierre et craque mon roulis.
Je t’aimais la perspective et le nombre des ciels. L’éphéméride dans mon grand œil profond promené par l’ubac.
Nous étions seuls et la tendresse et le monde épousé pour gagner l’envergure. Tu étais mon idée, aussi, et l’heur intelligible.
Je suis le même et cependant manque un corps à mon corps.
Un signe ou la partie a décidé de toi.
Se peut-il que je n’entende en toi qu’une distance prise où je cède à la vie ?
Vois : il n’est pas un jour où je ne perde un pleur. La tristesse même m’est un signe, mon Echo, et je crois que je ne t’aime plus.
Un mauvais chant nous vient qui nous affranchit d’être.
Je suis la nature et je suis le nombre et je suis l’autre signe où Pan le fils des lunes dit ton histoire apprise.
Il t’a donné des bras, des jambes, pour aller.
Je suis le chant dans quoi les laboureurs procèdent.
Je suis résolution, tu m’as quitté pour être. Et je suis résolu et tu es mon amie.
La cendre de tes membres est la tombe où je pleure.
Un laboureur a mis ta cendre dans mon val.
Et plus lève le val et plus ma marche est vague.
Un laboureur a fait de toi la race d’homme.
Et le terme de l’être où nous allions ensemble.
Je meurs et cependant je suis mémoire d’être. Et ton nom m’est perdu dans sa semblance d’être.
Tu es la race d’homme et la condition. Je ne reconnais plus en toi, mon Oréade, ce qui se connaîtrait, la parole tenue, la bouche du ciel cousue, le chant venu.
Tu étais la nature en toute condition. Et le désir que soit à la nature un pas ; et le désir que soit à la nature un homme. Afin que connaissance ait prise dans son terme.
Je suis l’hiver tirant de son globe l’étoile : il me fallait un homme et son silence tendre.
Il fallait un témoin de la marche des choses.
Or, ce que voit Narcisse est le signe dans l’être. Et c’est à cet enfant que tu dois de chanter le chant mauvais d’arrachement. Tu es le nom cloué sur la face mourant.
Tout le démembrement.
Je ne t’espère plus paresse de mon ombre.
Je ne t’espère plus fierté de mon iris.
Nous ne nous aimons plus : je crains de te connaître.
Tu connais ma douleur et ma consomption et cependant tu meurs et tu renais dans le signe.
Tu me nommes et mon nom n’est plus notre « hineini ».
Nous nous sommes perdus et le signe est aveugle : ce qu’il nomme est fin mort à présent que nommé.
Je m’en vais, je suis l’être avec les terres lentes.
Ce que tu dis de moi m’est un chant pour mourir.
Je me concède au ciel et je ne t’aime plus.
Le caillou me traverse et la pente est aux ronces.
Dans ce monde des membres où Pan t’as mis un corps, un laboureur évide et gerce ma mamelle.
Je m’en vais autre part et je ne t’aime plus.
Tu es le corps parti, tu es la condition : je ne sais pas un mot qui me parle de nous.
Nous sommes venus deux, la nature et son peuple : j’étais prospérité de ma belle Oréade.
C’est ainsi que tu dis : je ne te comprends pas.
J’ai souvenir qu’un jour un souvenir s’est dit.
Je me souviens je crois d’une face nouvelle ; et d’un regard porté sur la face de l’ombre.
J’ai souvenir enfin que je ne t’aime plus. »
C’est le dit de Névée pour les membres d’Echo.
L’Oréade l’écoute et puis elle répond :
« - Le mal que je te fais, c’est le nom que je porte. »
Saint-Malo, 27 septembre 2019
LE DIT DE NEVEE | EMMANUEL TUGNY